Chroniques de l’éclaireur - épisode 15

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Le pont sur la faille

Lorsque je revins à moi, j’aurais préféré ne pas le faire, tant j’avais l’impression d’avoir mal partout. J’appris que le groupe avait réussi à tuer Koth juste avant qu’il ne s’enfuie et avait récupéré sur lui un intéressant plan d’invasion. J’appris aussi que j’avais comaté pendant près de deux jours et que le groupe était de retour au Bac de Drelyn. Je mis cette info de côté puis perdis à nouveau connaissance.

Mon second réveil fut à peine mieux. Je restai conscient et So’tek me raconta les derniers événements de manière plus détaillée. Je me rendis compte que le nécromancien t’skrang était des plus serviable à mon égard. A moins qu’il ne m’ait déjà identifié comme une future matière première…

Pendant ce temps, Gothzul, déguisé en écorcheur ork renégat, se rendait au pont au sud de Fort Vräss afin d’en apprendre plus. Allons bon ! il ne manquait plus que ça : le guerrier qui ork se mettait à jouer à l’éclaireur ! Je lui souhaitais bien du courage car il allait se rendre compte qu’éclaireur c’est un métier. Est-ce que je jouais au guerrier, moi ?

Les jours suivants, les trois autres discutaient régulièrement avec Sorana et les membres du conseil afin d’organiser la défense du village. Selon mes collègues, les villageois du conseil étaient assez indécis mais majoritairement décidés à défendre le village.

De mon côté, je restais à l’auberge afin de me reposer et de faciliter ma guérison, souvent veillé par l’un de mes compagnons. Je partageais mon temps entre ce journal personnel et l’apprentissage (plutôt du domptage !) de la musique sur mon luth.

Il était clair que cette fois, j’étais passé tout près de tirer ma révérence. Il me restait à en déduire les bons enseignements. Mais je pense que si j’étais capable de faire des choses aussi sensées, je ne serais pas un aventurier, non ? Malgré mes entraînements, je n’arrivais à rien de bon avec une épée ou un arc. Alors quoi ? Je devais me contenter d’être les yeux et les oreilles du groupe et me cacher dès qu’un combat commençait ? J’étais certes toujours aussi maladroit avec une arme, mais je pensais avoir déjà remporté un premier combat : celui sur ma propre peur. Sans doute devais-je me faire une raison sur ma faible capacité à blesser les autres et me contenter d’occuper l’ennemi, d’éviter autant que possible les coups pendant que mes compagnons géraient leur propre combat. D’un autre côté, l’invasion orke allait sans doute résoudre tous mes problèmes existentiels d’ici quelques jours, alors il n’était pas nécessaire de se faire des nœuds au cerveau.

Gothzul revint trois jours plus tard. Il était dans un état pitoyable. Un vrai état d’éclaireur en quelque sorte. Son déguisement n’avait pas eut le succès escompté et la prise de contact avait rapidement viré à l’affrontement. Attaqué par des orks et des chiens étranges, le guerrier était parvenu à fuir de justesse. Son état fiévreux et l’état des blessures – des morsures de bêtes corrompues selon So’tek - nécessitèrent des soins attentifs. Quand je disais que le rôle d’éclaireur était dangereux…

Finalement, à grand renfort de potions, Gothzul et moi fûmes sur pieds quelques jours plus tard. Entre-temps, la décision avait été prise de tenter de détruire le pont avant que l’armée orke ne le traverse, afin de les ralentir et les forcer à choisir un autre itinéraire. Et notre groupe était plus que pressenti pour se charger de ce coup de force. Ben voyons… Mais qu’est-ce qu’ils font quand ils n’ont pas un groupe d’aventureux serviables sous la main ?

Cette fois, il était hors de question d’y aller la fleur à l’épée. Nous décidâmes d’emporter des tonnelets d’huile afin d’avoir de quoi détruire ce fichu pont, ainsi qu’un renfort de six archers de la milice locale. Et nous reprîmes la piste du sud.

Deux jours plus tard, alors que nous faisions halte à mi-chemin entre Fort Vräss et notre objectif, nous remarquâmes une étrange statue au bord de la piste, dissimulée sous les branchages et en partie recouverte de mousse. Personne n’identifia ce qu’elle pouvait représenter et je décidai de la dédier à la passion Moustonius, protecteur des mousses. Au niveau de cette statue se trouvaient les vestiges d’un sentier qui s’enfonçait dans la forêt. Intrigués, Thregaz et moi décidâmes de le suivre afin de voir où il menait, pendant que le reste du groupe préparait le campement du soir. Après quelques temps, le sentier rejoignait un chemin forestier plus fréquenté et comportant des traces de pas de trolls. A regret, nous rebroussâmes chemin pour rejoindre les autres avant la nuit, mais Thregaz était bien déterminé à revenir pour en savoir plus.

Après une nuit sans histoire, nous reprîmes la route et arrivâmes en vue de la faille en fin d’après-midi. Le pont était gardé par deux tours de chaque côté. Deux orks occupaient chacune des tours situées de notre côté. Au pied de chaque tour était attaché par une longue chaîne un molosse dont l’apparence était peu réjouissante. Gothzul semblait prêt à se jeter dessus pour prendre sa revanche.

Je rassemblai tout le monde afin de mettre un plan d’action au point. Pas question de simplement foncer dans le tas car il y avait un campement d’ork de l’autre côté du pont. De plus, l’épais nuage de poussière qui s’élevait au loin dans l’air rougeoyant du soleil couchant annonçait l’arrivée imminente de la horde. Raison supplémentaire pour frapper vite et de manière décisive. Il allait falloir un peu de discipline et ça n’était pas notre fort. La mission était de détruire le pont, pas d’affronter la totalité du campement ork.

Le premier objectif était de neutraliser les chiens au plus vite car ils représentaient la menace la plus dangereuse. Thregaz et Gothzul se chargeraient de celui de droite, les six archers de celui de gauche. Jeb et So’tek feraient usage de leur sorts pour harceler les archers dans la tour et les empêcher de se concentrer sur nos attaquants. Une fois la menace canine éliminée, les deux guerriers devraient tenir le pont et balancer leurs tonneaux enflammés. Les archers, pour leur part, aideraient les lanceurs de sorts à terminer les guetteurs orks.

De mon côté, j’avais un rôle un peu différent à jouer. Étant meilleur grimpeur que guerrier, j’avais décidé de me glisser sous le pont afin d’y fixer un tonneau d’huile et y mettre le feu. Il était possible que les orks du camp réagissent rapidement et reprennent la position, étouffant les flammes des tonneaux d’huile sur le pont. Il serait plus difficile pour eux d’en enlever un sous le pont.

Une fois tout le monde prêt, nous avons lancé l’assaut. L’entame du combat s’est passée comme prévu et les chiens ont rapidement péri. Gothzul a toutefois écopé d’une belle blessure dès le début.

Les archers se sont concentrés sur les orks de la tour de gauche, les deux t’skrangs sur ceux de celle de droite. C’est le moment que j’ai choisi pour m’élancer et foncer sous la tour de gauche. Les archers étaient trop occupés par leurs multiples assaillants pour prêter attention à un humain qui courait au milieu de tout ce cirque.

Constatant que les fondations de la tour étaient fragiles, j’ai tenté pendant quelques instants de la déstabiliser par des chocs. Ce qui était peut-être mieux finalement : les orks plus haut étaient peut-être déjà morts et je me serais pris une tour occupée par des cadavres sur le coin de la figure. J’abandonnai mes vaines tentatives et repris ma mission. Quelques acrobaties plus tard, je crapahutai dans les traverses sous le tablier du pont. Je fixai mon tonneau de mon mieux avant d’y bouter le feu puis m’en fus rapidement.

Pendant ce temps, au-dessus de ma tête, les choses se passaient assez bien. Tous les ennemis de notre côté du pont avaient été éliminés sans perte de notre côté. Les flammes des tonneaux lancés par les guerriers commençaient à lécher le tablier supérieur. Thregaz et Gothzul tenaient fermement le pont face à quelques guerriers orks accourus en renfort. Je revins avec soulagement sur la terre ferme (une chute aurait eu une conclusion funeste !) et demandais aux archers d’amener les autres tonneaux pour le jeter sur le pont, histoire de le rendre glissant et de propager le feu qui peinait un peu à prendre sur le bois noir et dur.

A ce moment, trois cavaliers orks surgirent du camp et se dirigèrent avec empressement vers le pont, le meneur montait une redoutable bête de la toundra. Sur une géniale inspiration, So’tek affola la bête de tête grâce à sa magie. Hors de contrôle, la bête fit demi-tour et s’enfuit en renversant sur son chemin les deux autres montures, au grand dam des cavaliers. Ce répit permit à nos deux guerriers d’en finir avec leurs adversaires et au feu de véritablement enflammer le pont. Je constatai aussi, non sans satisfaction, qu’une fumée croissante se dégageait du dessous du pont.

Alors que nous commencions à nous retirer, la bête de la toundra traversa brusquement le brasier qu’était devenu le pont et dépassa Thregaz et Gothzul. Le cavalier fit obliquer la charge effrénée de la bête de la toundra vers le pauvre So’tek qui ne demandait rien à personne, à l’arrière de la ligne de combat. Frappé par l’ork lancé à pleine vitesse, le t’skrang s’effondra. Toutefois, le cavalier ne profita guère de cette piètre victoire et il mourut, avec sa monture, sous les coups conjugués de Gothzul, de Thregaz et des sorts de Jeb.

Le combat terminé, tout le monde se tourna vers le pont pour se préparer à d’éventuelles autres charges frénétiques mais, cette fois, le pont s’était embrasé pour de bon, empêchant toute contre-attaque orke. Thregaz ramassa avec délicatesse notre nécromancien et le groupe se replia à l’abri, vers le plus proche bosquet. Une fois sur place, nous constatâmes que sa blessure était grave mais pas mortelle et qu’il se remettrait avec des soins.

Mission accomplie sans perte. Étant largement à l’origine du plan, j’en éprouvais une certaine satisfaction, même si je n’avais pas pris une grande part à sa réalisation.

Alors que le groupe montait un camp à quelques kilomètres de la faille pour y passer la nuit et récupérer de nos blessures, je décidai de rester sur place - à l’abri ans un bosquet touffu - et de garder l’armée orke en vue. La horde arriva juste avant la tombée de nuit et j’estimai leur nombre à deux-mille, sans compter une demi-douzaine d’étranges créatures volantes qui ne m’inspiraient rien de bon. Ces saloperies rapides et discrètes, faisaient d’excellents éclaireurs pour leur armée. De plus, leur taille leur permettait d’attaquer des adversaires de taille humaine.

De loin, je pus constater que le chef ne semblait pas du tout ravi de l’état du pont et que certains en prenaient pour leur grade. Bien fait ! Estimant qu’ils ne bougeraient pas cette nuit, je revins au camp.

Le lendemain matin, Gothzul était à nouveau fiévreux et nous lui prodiguâmes les maigres soins dont nous étions capables. Il fallait retourner au Bac de Drelin, notre mission était terminée ici.

Thregaz annonça sa décision de retourner sur le sentier où nous avions aperçu des traces de trolls afin de tirer cette histoire au clair. Sachant qu’il ne changerait pas d’avis, personne ne se donna la peine d’essayer.

Pour ma part, j’avais décidé de suivre de loin l’armée ork, aussi longtemps que possible afin de savoir quel itinéraire ils emprunteraient et par où nous devions nous attendre à les voir arriver. Je quittai la compagnie et retournai à mon poste d’observation pour constater qu’ils commençaient à préparer leur départ. Une heure plus tard, la horde s’ébranlait en direction des montagnes de l’est. Je les suivis de mon côté, tout en restant le plus à couvert possible car, si les orks ne pouvaient certes pas passer, il n’en allait pas de même pour les trucs volants. Je n’aurais certainement pas apprécié la compagnie d’un ou deux de ces trucs.

Au bout d’une demi-journée, je remarquai que la taille de la faille se réduisait sensiblement. En milieu d’après-midi, j’avais pu en déduire que les deux parois se rejoindraient d’ici un à deux jours. Ne souhaitant pas tenter les Passions Folles plus que de raison, je décidai de retourner au bac de Drelin. Compte tenu de ces éléments et de sa vitesse de déplacement dans les montagnes, j’estimai que mon avance sur la horde serait de 6 à 8 jours à mon arrivée au Bac de Drelin.


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