Jouer Noir

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Si vous doutez encore que le style Noir (des films et romans Noirs) se mélange mal avec le cyberpunk, regardez Blade Runner (le film) et revenez ici. Cet article à pour but d’expliquer comment s’inspirer du style des films et romans Noirs pour vos scénarii ou votre univers Shadowrun.

Principes généraux

Résumons tout d’abord en quelques mots le principe des romans Noirs : il s’agit bien souvent de romans policiers dans une société pourrie où la violence est courante. Les hommes sont malmenés et déchirés par cette société jusqu’à en devenir parfois inhumains, ou, comme la plupart des héros, des sentimentalistes cachés sous une apparence mêlant décontraction et insensibilité.

Bref, le Noir, ce n’est pas un cadre, pas une ambiance, pas un type de scénarii mais un ensemble de ces éléments et d’autres encore.

Le cadre

Le roman Noir est né dans un contexte de crise sociale et économique : la pauvreté remplit les rues, la criminalité grimpe en flèche et la violence est omniprésente. Le fossé social se creuse entre des riches et les pauvres. L’immoralité devient aussi courante chez les uns que chez les autres, quoique souvent sous des formes différentes.
Ca ne vous rappelle rien ? Pour adapter cela à Shadowrun, vous n’aurez pas beaucoup de travail à faire, juste à considérer le monde aussi dur qu’il est censé l’être.

L’ambiance

Le Noir emprunte des éléments au glauque voire au gore, mais reste distinct de ces deux genres par le simple fait qu’il ne va pas autant dans l’excès. Le Noir se contente souvent de montrer sèchement la dure réalité. La violence est là, les crimes sont sanglants, la société est pourrie mais il n’y a aucun artifice, que ce soit pour édulcorer ou pour accentuer cette horreur quotidienne.
C’est là, cependant, qu’intervient l’aspect mélancolique : pour relever cette noirceur et lui donner sa force, la réalité est mêlée à l’aspect humain. Car si l’homme, pour affronter cette société, se donne un masque d’impassibilité, il n’en reste pas moins faible et profondément atteint par les événements. C’est toute l’ambivalence de Deckard, dans Blade Runner, l’assassin implacable criblé de remords.
Pour mettre tout ça en jeu, décrivez le monde de manière crûe, avec un langage simple et direct. Faites parler les PNJs avec le langage de la rue. Même les combats doivent être expéditifs, brutaux et mortels. Mais n’oubliez pas aussi de faire ressortir les émotions des PNJs comme celles des PJs, de signaler à un joueur ce que ressent physiologiquement son personnage face à une situation, en espérant que le joueur fasse lui-même la transcription psychologique.

Les personnages

« If I wasn’t hard, I wouldn’t be alive. If I couldn’t ever be gentle, I wouldn’t deserve to be alive. » Philip Marlowe

Le style Noir influence énormément les personnages (donc les PNJs). De manière générale, ce sont des personnages réalistes et complexes (excepté les seconds rôles qui sont souvent des archétypes). Malmenés par la société pourrie, ils survivent comme ils le peuvent, empruntant cinq voies différentes et parfois complémentaires :
- S’échapper par l’artifice : alcool, drogue, sexe, jeu... Chez les plus pauvres comme chez des riches cédant à la perversion
- Se blinder : ceux qui se croient suffisamment costauds se blindent. Ils renoncent parfois à leur morale, avec plus ou moins de difficultés. Ils se montrent souvent violents aussi mais le but de cette violence n’est en fait que d’afficher leur force pour convaincre le monde, et donc eux-même, qu’ils sont costauds.
- Grimper : monter l’échelle sociale ou économique revêt une importance particulière en cette période de crise. Malheureusement, vu l’état du monde, ceci demande souvent de gros sacrifices et de ne pas avoir peur de se salir les mains.
- Se forger des valeurs : certains se retranchent derrière des valeurs : la famille, la justice, la liberté, etc. Dans la société pourrie, ces valeurs sont souvent en perdition, et demandent donc parfois de sortir des limites et de se ternir soi même pour pouvoir les soutenir.
- Se regrouper : les personnages se regroupent souvent, pour les plus riches par milieu social (milieu du spectacle, parti politique, etc.) dans des clubs, pour les plus pauvres par origine (par métatype dans Shadowrun) dans des ghettos. Ces multiples cultures partagent très peu, se renferment sur elles-mêmes et le dialogue entre elles est parfois impossible.

Ainsi, en cherchant à se protéger de la noirceur du monde, la plupart des personnages ne font que se plonger dedans. C’est pourquoi la plupart des personnages Noirs sont souvent des pourris de manière plus ou moins importante et ont souvent de nombreux secrets à cacher. En tant que personnages complexes, ils ne sont pas sans remords, sans questionnements. En campagne, les PNJs devraient donc être appelés à évoluer en fonction des circonstances et de leur mentalité.

Imaginons un jeune agent de la Lone Star. Face à un monde corrompu et empli de criminalité, il s’en sort en s’attachant à la justice. Très vite, il découvre que ses supérieurs corrompus lui mettent des bâtons dans les roues. Pour faire vivre son idéal, il doit donc soit faire des entorses au règlement soit monter en grade. Par corruption et manipulations, il se débrouille pour décrocher une affaire importante qui le mènera vers un poste important : pour faire triompher la justice, le voilà qui a dû tricher et tromper. Pour résoudre son affaire au plus vite, il tabasse les suspects. Il se blinde face à tout ceci, mais a du mal à l’accepter. Il se met à boire...
Quelques années plus tard, voilà donc notre agent de la Lone Star, maintenant officier bien en vue, corrompu et alcoolique. Mais peut-être que la flamme de justice qui l’animait n’a pas été ternie par toutes les épreuves qu’il a passées...

En dehors des généralités, n’oubliez pas le personnage indissociable du Noir : la femme fatale. Femme, féminine, indépendante, libre, séductrice, manipulatrice. Sans forcément être mauvaise ou calculatrice, elle entraîne les autres personnages dans ses machinations, les pousse à faire ce qu’elle veut. Bien souvent, elle leur est finalement... fatale, se détruisant parfois aussi bien elle-même.

Scénarii

Les scénarii noirs sont toujours extrêmement complexes. Il s’agit souvent, au départ, d’une enquête, quoique d’autres points de départ soient possibles. Cette enquête (ou ce point de départ) est en fait un élément d’une partie d’une affaire bien plus importante, souvent liée à un microcosme en particulier.
En raison de la complexité des personnages et de leurs buts, ils sont souvent nombreux à être reliés de près ou de loin à l’affaire. En raison de la pourriture dans laquelle tous nagent, ils sont très peu nombreux à vouloir tout avouer à ce sujet et ils présentent bien souvent un double visage. Ainsi, une affaire relativement simple prend soudainement des proportions importantes pour devenir un sac de nœuds indémêlable.
Au fur et à mesure que l’histoire avance, chacun des personnages impliqués agit. Les morts s’amoncèlent et bien souvent en commençant par les plus faibles (souvent les plus purs, même s’ils ne paraissent pas toujours ainsi au premier abord, et les plus intrépides) et le voile, que chacun s’applique à laisser sur une partie de l’affaire, se lève peu à peu sur un tas de pourriture. Cette construction à l’intérêt de proposer des scénarii complexes dans lesquels les joueurs ont toujours une piste. De plus, le monde continue d’évoluer autour d’eux et la violence qui est bien souvent employée (passages à tabac, envoi de gorilles, etc.) permet de ponctuer l’enquête de scènes d’actions. La pourriture qui se découvre implique une escalade qui incite un investissement de plus en plus grand des PJs dans l’affaire et un sentiment d’avancer pour les joueurs.
La fin est bien souvent tragique et il n’est pas rare qu’il ne reste plus rien d’intéressant dans l’affaire : le meurtrier est abattu en même temps que ses dernières victimes, les diamants que tous recherchaient (et pour lesquels tous sont morts) étaient des faux, ou sont jetés à la mer par le héros désabusé, etc.
Vous trouverez un exemple de scénario Noir ici : Du bon côté de la barrière.

Et les PJs dans tout ça ?

Faire un scénario Noir n’est pas trop compliqué : il ne s’agit que de rassembler des éléments et de les mélanger. Le plus difficile est d’intégrer les PJs et de les faire vibrer tels les "héros" Noirs.
Vous pouvez très bien ignorer cette partie et laisser les PJs jouer à un scénario d’enquête Noir de qualité. Mais si vous voulez vraiment leur faire vivre toute l’expérience Noir, voici quelques principes intéressants :
- Le héros Noir est souvent un personnage à part. S’il s’est blindé, il n’en reste pas moins faible. S’il tue, triche et est lui-même un pourri, il est conscient de la tristesse du monde. Cette mélancolie, il la cache derrière une décontraction et un certain cynisme mais c’est elle qui fait de lui un être humain, toujours attaché à des valeurs nobles sans se faire aveugler par elles.
Si vos PJs ne sont pas de ce genre là, essayez tout du moins de les appréhender comme expliqué dans le chapitre consacré aux personnages : tous les runners doivent faire face quotidiennement à un monde sale et pourri. Comment font-ils pour s’en protéger ?
Par la suite, insistez sur ces points : les personnages doivent être mis face à la cruauté du monde et doivent être invités à y réagir, bien souvent en choisissant entre deux mauvais choix. Mettez-les face à des cas de conscience délicats (pas « gagner l’argent ou sauver des enfants » mais plutôt « rendre la justice en tuant ce type qui est le seul à pouvoir aider cette gamine ou briser un serment de vengeance fait à un ami et perdre toute crédibilité ? »). Si les PJs ont des façons différentes de faire face à la pourriture du monde, n’hésitez pas à laisser ces conceptions s’entrechoquer et faire des étincelles.
Le but final est de faire prendre conscience aux PJs que non seulement ils sont dans un monde pourri mais qu’en plus, ils sont forcés d’y prendre part.

Sources d’inspirations :

Les romans de Ray Chandler (avec Phillip Marlowe) et de Dashiel Hammet (avec Sam Spade) et leurs adaptations cinématographiques : les premiers romans Noirs, avec des privés.
La série du 87e district d’Ed McBain : l’histoire d’un commissariat, très intéressant au niveau de l’évolution des personnages.
Les romans de James Ellroy (notamment le Quatuor de Los Angeles) et les adaptations cinématographiques (L.A Confidential, Black Dahlia, etc.) : du Noir presque caricatural, mêlant souvent politique et affaires policières.

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