Au jour le jour - Matinées

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La série de nouvelles Au jour le jour s’emploie à illustrer la vie quotidienne des habitants de 2070. Celle-ci s’intéresse plus précisément au déroulement de la matinée chez différentes personnes.

Il se laissa tomber dans l’herbe, sentit chacun des brins lui picoter son dos nu. Il ferma les yeux sous la caresse du Soleil et se prépara au réveil.

La voix douce de la domotique murmura le message du matin à ses oreilles. Il n’en fallu pas plus : l’inducteur s’était chargé du reste. Six heures pile et pleinement réveillé après une nuit optimale. L’utilisation régulière de l’inducteur de sommeil était déconseillée : certaines études laissaient croire qu’il empêchait le cerveau d’effectuer correctement le travail de mémorisation ainsi que d’autres tâches réalisées durant la phase de sommeil paradoxal. Mais de temps en temps c’était idéal pour s’assurer un sommeil réparateur en un nombre d’heure minimal.

« Nous sommes le jeudi 15 mai 2070, il est exactement 6h00. La journée s’annonce bonne : les conditions météorologiques sont agréables et le programme de la journée ne présente aucun élément déplaisant. »

La luminosité des murs grimpa progressivement et les schémas de couleur bleutée commencèrent à évoluer sur trois d’entre eux, tandis que le quatrième se voyait remplacé par une vue de l’extérieur. Selon une école de pensée orientale quelconque, ce papier peint animé était censé stimuler le réveil. Quant à la fenêtre, Jalen aimait profiter de la vue remarquable de Seattle que lui offrait la face sud de son appartement. C’est pourquoi il la faisait afficher dans presque toutes les pièces.

Le lit bascula légèrement pour faciliter le lever tandis que la domotique reprenait son monologue :
« Elements notables de la journée : à 14h00, une rencontre est prévue avec M. Kim Moo-Yong de Dataland pour la présentation du projet Crystal. A 19h30, pot de départ de Mlle Susan Pinfield, stagiaire assistante de M. Lindenberg. »
Occupé à choisir, face à l’écran tridi du placard, son apparence de la journée, (parmi les propositions calculées en fonction, entre autres, de la garde-robe, de la mode actuelle, de l’agenda et de la météo) Jalen n’enregistra pas forcément toutes les informations. De toutes façons, elles allaient être répétées au moins trois fois ce matin.

« Good Morning Seattle ! Et maintenant, un petit tour de l’actualité de ce jeudi 15 mai ! »
La domotique avait basculé sur une station de radio. Jalen aimait avoir un flash info générique. C’était toujours utile de se tenir au courant de tout ce qui se passait et les filtres personnels avaient tendance à laisser de côté des infos qui auraient pu être intéressantes. Le son de la radio le suivit à travers le couloir jusqu’à la salle de bain. Il s’intensifia afin de rester audible lorsque l’eau commença à couler :
« De violentes tempêtes ont balayé les côtes ouest de l’Afrique cette nuit, causant environ 150 morts, plus de 4 000 blessés et de nombreux dégâts matériels. L’origine de la catastrophe n’a toujours pas pu être déterminée, même si une cause magique reste la théorie la plus probable selon de nombreux climatologues.
— Tu me gardes ça pour les retombées sur les matières premières. »
Le terminal matriciel ajouta l’information à la liste de la journée et commença à rechercher les compléments adaptés.

La lumière et la musique s’éteignirent tandis que Jalen quittait l’appartement en direction de sa voiture, croisant au passage son drone ménager qui en revenait le plateau vide.

« Cap sur le bureau. »
Il n’avait nul besoin de le préciser, mais Jalen préférait se sentir aux commandes. Il recula son siège, attrapa la tasse de thé et les tartines et commença à déguster son petit déjeuner dans les embouteillages matinaux, les yeux rivés vers l’essentiel des informations intéressantes de la journée, avec les développements demandés, qui recouvrait le pare-brise avant.

***

Les oiseaux commençaient à piailler, l’intensité lumineuse avait connu un soudain regain d’intensité et quelqu’un lui mordillait l’oreille... Il était décidemment temps que Chris se lève. La pression sur son oreille diminua, un rapide baiser effleura sa bouche et Vanessa était déjà en train d’ouvrir les rideaux, plongeant la pièce dans les réfractions du Soleil sur le sable. Collée contre Chris, Tania roula sur le côté avec un murmure de satisfaction, s’enfonçant de plus belle dans la profusion de draps blancs. Doucement, pour ne pas la réveiller, le jeune homme s’extirpa du lit.

De légers effluves musicaux transportés sur le fil du vent accompagnaient le doux bruit du ressac sur la plage, à quelques mètres de là, tandis que Chris laissait les sirènes le dépouiller de sa chemise de nuit et le plonger avec elles dans l’eau brûlante du bain matinal. Peu à peu, le léger fredonnement de Vanessa vint compléter cette atmosphère musicale. Les yeux fermés, les sinus imprégnés de la douce chaleur olfactive du petit déjeuner que préparait sa blonde compagne, Chris laissa les naïades sécher et habiller sa peau.

« Alors chéri, tu as bien dormi ? »
La voix de Vanessa était à l’image de ses proportions : parfaite. Elle caressait l’oreille avec le même talent que ses mains la peau. Chris, encore légèrement endormi, se contenta d’acquiescer de la tête.
« Ca va ? T’as pas l’air dans ton assiette ce matin...
— Si si, ça va... »
Même si Chris appréciait plutôt son nouveau boulot, la routine quotidienne commençait à lui peser. La journée allait être comme toutes les autres, mêmes collègues, mêmes blagues, mêmes affaires, mêmes...
« Tu vas déjeuner avec cette jeune elfe ce midi, cette...
— Nicole. Oui, sûrement. »
Sacrée Vanessa, elle avait le chic pour toujours trouver le petit quelque chose qui saurait le motiver. C’est vrai que le boulot était bien plus agréable depuis l’arrivée de cette petite stagiaire elfe. Elle était un peu jeune, mais elle le resterait encore pendant toute la vie de Chris... Il n’avait pas de soucis à se faire à ce niveau là.
« T’en fais pas, si tu la ramènes ici on saura se faire toutes petites... A part si elle a envie de nous rencontrer bien sûr. »

Quelques minutes plus tard, la voiture de Chris rentrait peu à peu dans la ville, déjà loin de son bungalow de Renton-plage. Pendant ce temps, Tania dormait encore à poings fermés, perdue dans ses rêves de moutons électriques, bien au chaud au sein du Dataterm pavillonnaire.

***

La luminosité de la chambre d’hôtel monta progressivement. Kathy remua un peu, mais le système matriciel jugea bon d’adjoindre un peu de musique et de bruit de fond. Voitures et chants d’oiseaux commencèrent à se faire entendre, accompagnant le dernier tube pop à la mode. Kathy se redressa lentement, s’installa confortablement sur un coussin, et enfonça la fiche jack de son Commlink dans son Datajack, direction la maison.

Le système domotique de son domicile l’immergea dans une représentation VR minutieuse de la chambre, issue des informations des caméras et des micros. Elle, ou tout du moins son persona, était allongée dans le lit. A ses côtés son mari, présent physiquement mais néanmoins virtualisé pour l’affichage de Kathy, se réveillait à son tour. Il se tourna vers elle et lui caressa les cheveux :
« Bien dormi ?
— Pas assez, la réunion s’est éternisée hier soir et ça va reprendre dans quelques heures. Avec le décalage horaire en plus... Je vois pas pourquoi ils s’entêtent à faire tous ces trucs en présence physique. ’Paraît que les gens d’ici sont vieux jeu. »

Kathy invoqua deux fenêtres dans un coin de son champ de vision, histoire de jeter un œil aux enfants. Ils profitaient tous deux paisiblement de leurs dix dernières minutes de sommeil. A peine avait-elle fermé les affichages qu’un autre prit leur place, indiquant l’arrivée du plateau de petit déjeuner. Elle bascula en RA au moment où le petit drone à chenille rentrait dans la chambre. Il s’avança, posa précautionneusement le plateau sur la table de chevet et repartit aussi sec, sans attendre son pourboire. Elle repassa en RV.

A côté d’elle, à quelques milliers de kilomètres de là, son mari se leva en direction de la salle de bain. Elle se leva à son tour et se dirigea vers le couloir. Elle frappa doucement sur la porte des chambres des enfants, ressentant le contact du bois, et produisant le son adéquat sur place comme dans la simulation.
« C’est l’heure ! »
Des petites icônes confirmèrent la réussite de la manœuvre.

Elle passa instantanément à la cuisine, sans prendre la peine de faire le déplacement à travers toute la maison. Elle avait l’habitude de préparer à la main le petit déjeuner de sa famille, et ce n’était pas la distance qui allait l’en empêcher. En quelques pensées elle commanda l’ensemble des appareils ménagers et la cuisine se mit à prendre vie autour d’elle. Elle s’installa tranquillement dans une chaise et repassa en Réalité augmentée, le temps de prendre son propre repas. Dans quelques instants, ses enfants allaient arriver. Elle pourrait alors les embrasser et parler avec eux avec, pour seul indice de la distance, un infime temps de latence.

Dans un coin de sa vision, un petit rond indiquait que l’enregistrement progressait normalement. Si jamais le besoin s’en faisait sentir, un agent virtuel serait capable de la remplacer demain, sans que personne ne voie la différence.

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