Press in Hell #1 : Crevé

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Première nouvelle sur Press, écrite à l’origine pour Laser de Lune, très légèrement remaniée depuis.

J’émerge au son de la pluie sur la tôle au dessus de ma tête.

Je me redresse, et me rallonge immédiatement. Huh… fameuse beuverie cette nuit. Je comate quelques minutes, puis remonte la couverture trouée sur Francesca. Ensuite, je m’occupe de vider les bassines qui parsèment le béton et empêchent les pluies acides de couler jusqu’à ma paillasse. A la dernière, je m’accorde un moment à rêvasser, assis sur le bord du toit, entre deux créneaux, et je contemple ce petit coin des barrens que nous dominons…

Le soleil rouillé ne se lève pas, les corbeaux ne chantent pas, et l’ami Ricoré s‘est fait avoiner hier par deux Republicans, juste après avoir dépensé la paye de l’usine au bar local. Aux dernières nouvelles, ils lui ont piqué sa caisse et sont allés se payer un fix’ avec le fruit de son dur labeur.
Un matin banal dans un coin sans surprise d’un plex’ ordinaire…
Ptuh ! Un glaviot par dessus-bord, je l’écoute éclater au sol avant de reprendre ma rêverie. Une chouette fille, Francesca. Forte, dure… mais il faut bien dans le coin, et elle s’occupe comme il faut de sa gamine. Seulement, elle a besoin de quelqu’un pour réchauffer le lit de temps en temps. Comme moi.

Ah, putain ! Faut que j’arrête de ressasser, 16 ans et déjà vieux ! Je me sors une clope, enfile mes bottes en lézard mauves, et descend au dernier étage du squat en embarquant ma boîte de thé. De vrai thé. Encore une saloperie de la gob’, la deuxième. Putain d’Grime. Putain d’magie. Putain d’Eveil...
Arrivé en bas, je me dirige vers la cuisine. J’y retrouve Virus en train de faire réchauffer du café dans la vieille casserole tout rongée. Avec le crack de cette nuit, il a pas dû dormir.

« Skraa ! Bah alors, Press, j’aurai cru que ‘’quelque chose’’ te retiendrait plus longtemps au pieu, auourd’hui ! »
Je lui dis d’aller ce faire mettre, connard, et tout en zappant sur True Jail Channel, je lui demande s’il a assez de kawa pour deux.
« Eh, tu peux avaler du Nu-Kaf, toi maintenant ? »
Je lui dis que c’est pour Francesca. On patiente pendant que le soykaf’ et le thé chauffent.
« Tiens, j’ai entendu que ton pote Matteo de la Bolivian Hermandad s’est fait embarqué l’aut’ nuit. »
Merde, qu’est-ce qu’il a branlé, ce Cholo Loco ?
« S’est fait chôper en braquant une pharmacie. Mais l’a buté un shérif en sortant. Va prendre perpèt’ à priori. »
Silence consterné…

Quand l’eau du thé bout, Mira nous a rejoint, toute ensommeillée dans son pyjama Cop Killa.
« Tu veux du thé, trésor ?
— Non merci, tonton Virus. Dis, papa Press, elle est réveillée ma maman ? »
Je lui réponds que pas encore, mais qu’elle peut m’aider à lui monter son petit déjeuner si elle promet de ne rien faire tomber. Elle promet. Mignonne. Un salut de la main au microbe et nous voilà montant les marches, nos tasses à la main.
Trois minutes plus tard, quand le câlin du matin est terminé, je me penche vers Francesca et lui demande si thé ou café. Elle me répond les deux, café d’abord. Je lui tends, et on restent là, tous les deux, à écouter les rêves de Mira, en vidant nos tasses.

Quand je me lève pour m’habiller, j’ai droit au regard interrogateur qu’elle sait si bien faire. Je lui dis que j’ai du matos à fourguer et que je dois voir Wana pour qu’il me file du boulot.
« J’aime pas quand tu pars en voltige comme ça. N’importe qui pourrait te planter, on en saurait rien. »
Je lui réponds que je sais, mais que j’ai besoin du fric pour mon régime alimentaire et pour la bande. Et puis il faut que je voie si Wana peut nous trouver un ou deux trucs pour ce soir. Je finis de zipper ma combi, j’enfile le foulard aux couleurs du clan (rouge et verte, les seules vraies) autour de ma tête pour cacher mes oreilles d’ork, et me v’là parti. En descendant, je recroise Virus qui me dit de faire gaffe si je croise les Rep’s, je lui réponds en sortant/rentrant une de mes griffes. La plus longue.

°°°

Quatre heures plus tard, je suis de retour au squat avec un créditube bien rempli, une AK98 avec deux mini-grenades, et la nette impression que les Republicans vont nous tomber dessus bien plus tôt qu’on le pensait. Ils nous en veulent vraiment depuis qu’on a piqué une cargaison d’anti-dépresseurs juste sous leur nez. C’était ce week-end, sur la 202.
Vu les préparatifs quand je rentre, j’ai pas été le seul à laisser traîner mes oreilles. Ash me chope dès que j’arrive, et je lui dis que je fonce avec ça sur le toit. Sauf qu’il me veut avec lui en première ligne, et qu’il filera ça à Logik là-haut. Soudain, un bruit arrive du nord, et il est trop tard, bien trop tard, et je me précipité dans l’escalier tandis que la pétarade de moteurs en provenance de Thomas Street enfle…

Le vacarme s’est arrêté depuis trente secondes et j’ai passé les trois derniers étages à me demander qu’est-ce ce qui se passe bordel, quand je débouche enfin sur le toit. Je me précipité vers le bord en fouillant mon barda.
Putain de bordel de merde… Ils sont au complet. Comment ils peuvent être aussi nombreux… Ils envahissent tout Thomas Street et McCormack, au nord de Cohen. Je ne sais pas à combien ils sont venus, mais ce sera au moins du deux contre un. Et on est pas les Anciens ou les Black Rains. Ca va être sale. Très sale.

Mais pour l’instant le silence stagne dans la rue. Il colle aux tempes. Il enserre le crâne, comme un étau. Ils attaquent ? Non ? Si ! Peut-être… Je profite du flottement pour me jeter dans la rampe, à l’autre bout du toit. Six étages en toboggans. Descente express. En bas, je suis rejoins par une demi-douzaine de nos gars, qui arrive par l’entrée sur la 75e.
« Ils sont combien ?
— Il paraît que les Eastsiders sont venus aussi ?
— C’est vrai ? »
Je leur réponds le peu que je sais et on se précipite ensemble vers les barricades. On retrouve Ash qui nous répartit au long de ces dernières. Il a appelé du renfort, mais il ne sait pas s’ils bougeront. En attendant, faut qu’on tienne.

Tenir. Il est marrant lui, en face ils sont le double, le triple peut-être. Et ils sont venus équipés. Au coin de McCormarck et de la 42e, ils ont posés un bahut. Vu le pare-buffle, ça doit être pour la grille. On se regarde, on se jette des coups d’œil, et on sait ce que pense l’autre, on pense tous la même chose de toute façon :
On va se faire défoncer la gueule.

Trois types se dégagent de la mêlée. On reconnaît Tucker, le chef des Republicans, cet enculé de chanvré, et Chaos, celui des Eastsiders. Le troisième tient une immense hache.
« Vous me connaissez ! Vous savez tous qui je suis ! Et vous savez ce que je fais aux enculés qui viennent me faire chier ! Cyrtac, montre-leur. »
Le mec à la hache fait passer un sac par-dessus son épaule. Il plonge la main à l’intérieur et en ressort… Sami dégueule à côté de moi, Ben le suit. Putain… Cathy… La pauvre…
« V’là c’que j’fais aux bâtards qui viennent sur mon territoire ! Et maintenant, ici, c’est MON territoire ! Alors, soit vous dégagez avant qu’y vous arrive la même chose, soit on vous charcute jusqu’à ce que personne vienne me faire chier pendant les trois prochaines putains d’années ! »

On se regarde, on regarde Ash. Il dit rien.
Les trois autres repartent vers leurs rangs.
J’écoute Dozer qui prie.
Ash lève sont flingue et tire.
Le Cyrtac se prend la balle, et c’est là que tout part. J’commence à tirer, j’entends les autres, ceux qui ont des flingues, qui font pareil. Je pense qu’Ash devait viser Tucker, trop con qu’il l’ait raté… Ca y est, ils arrivent. Les lignes vont se rentrer dedans. On va tous mourir ici…

Fracas – énorme – la ligne plie – un grand chinois – il a un marteau – j’esquive – mes griffes dans son bide – le suivant – machette – je pare – coup de pied – je contre – coup de boule – s’effondre – la gorge – ça saigne – je tranche – suivante – a tué Evan – je trébuche – la jambe d’Olivia – ils passent les barricades – on fuit – à couvert – explosions – molotovs brisent leurs lignes – répit – on a perdu quinze pote – charge des Eastsiders – molotovs – contacts – Lang, Pearl et Oleg tombent – Dozer submergé – je fonce – tire dans le tas – tombent comme des mouches – plus de balles – se relèvent – portent des kevlars – on charge – les repoussent dans la rue – leur camion accélère – la barricade – grenades – Logik – touche le camion – se renverse – je lance – explosions – encore – Mohammed fauché – Tuff auss – roquette – artisanale – boum – Clovis/Ellen/Bruce/Weasel/Gary/Mooch – morts – on est mal- très mal – arrivent du coin nord-est – passé la barricade – donc Jimmy, Zoot et Ludwig – morts – sans doute – court vers eux – Mabô et Tiger aussi – tronçonneuse – Mabô à terre – plus de tête – Tiger tranche – deux tués – tombe – avec l’adversaire – se relèvent pas – pieu – esquive – tranche une main – genou – dans les burnes – roulent au sol – lui mord l’oreille – plante les griffes – dans le crâne – me relève – choc – dans le dos – fais le mort – plus de souffle – hourra pour ma combi – me dépassent – aligne – tire – tombent – me lève – plus de barricades – bruits de moteurs – fonce vers le coin – coup d’œil – Dieu soit putain de loué – Agnostic Trolls – des potes – chargent les Rep’s – le bleu se disperse – le rouge et le vert reprennent leur place – pas assez – trop de morts – aperçoit du jaune et du vert – Ceux des Abattoirs – ont aidés – c’est fini – le bruit baisse. Le silence se répand petit à petit. On s’asseoit. On cherche les potes. On gémit. On hurle. On est vivant. On a gagné. Les Republicans qui peuvent encore marcher se casse. Les Agnos nous aident. On récupère les nôtres. On finit les autres. C’est notre territoire, et on est encore là. Autrement dit, ça va être à nous de nettoyer. La rue est rouge. Y a des bouts partout. Vivement qu’il pleuve. Va falloir faire le tri. Ramasser le butin. Les trophées. Evidemment on va partager avec les trolls et les bouchers des Abattoirs. Ils nous ont sauvé la mise sur ce coup.
J’m’allume une clope.
Breaker me la taxe.
Enculé…

°°°

Quelques minutes ont passé. Je vadrouille au milieu des cadavres. Ma cibiche est au filtre. Les voisins ont commencés à faire les poches des Rep’s morts ou agonisants avec les nôtres. On leur filera un quart du butin, en dédommagement, pareil aux trolls et à Ceux des Abattoirs. Je regarde le ciel. La lumière baisse à travers les nuages, le Soleil ne va pas tarder à se coucher je pense. Les corps sont séparés. Sacré Tiger, il a encore fait des ravages aujourd’hui. Ce connard a canné. Plus de fumette sur le toit. Va falloir trouver une autre filière d’approvisionnement.
Le camion avec les corps des Rep’s et des East’s part vers chez Scope. Ca sera toujours ça de gagner sur les frais pour ceux qui bougent encore. Ceux qui traînent encore commencent à rentrer.
Je me rentre chez moi aussi.
Francesca me rejoint, elle a mis Mira à l’abri en haut. On se regarde, on se prend dans les bras. Elle est pas blessée. Non, moi non plus. Oui, ça va. Y a pas d’problème. Allez, viens. Attends, faut soigner les potes. J’vais chercher mon sac là-haut, attends moi. Ok.

Le temps que j’arrive en haut, les chants ont commencé, ce soir ça va être la bamboche. Faut décompresser, honorer les morts. Va falloir boire, oublier. Mon téléphone sonne quand je sors mon médkit. Je laisse sonner. Bordel. A la onzième, je décroche. C’est Wana, il a un job. Ce soir à 21h au Redlight. Si je prends pas il me file plus rien.
Bordel de merde.
J’suis naze...
Crevé...

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