La légende de Tibonal

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La légende d’un chasseur elfe ayant vécu avant le Châtiment

Peu avant le Châtiment était un jeune elfe du nom de Tibonal, qui vivait dans le village de Klobal. Fils et petit fils de chasseur, Tibonal ambitionnait de devenir le plus grand chasseur de son village et, pourquoi pas, de la contrée entière. Mais, du fait de son jeune âge – son adolescence battait son plein – Tibonal n’était guère habile. Son père, ne voulant pas lui céder son arc de peur qu’il le brise avant d’atteindre son âge adulte, se contentait de lui donner pour mission de ramener, et voire d’égorger, les proies tombées sous ses flèches. Ceci provoquait chez Tibonal une frustration sans fin, doublée d’une grande colère.

Un jour qu’il rentrait de la chasse, Tibonal fit faux bond à sont père et rendit visite à l’ermite qui vivait en bordure du village. Ce vieil elfe était le doyen du village, et un armurier hors pair. Il forgeait les armes de chasse de la famille de Tibonal depuis six générations. Tibonal lui demanda alors de lui fabriquer un arc qui ferait de lui un meilleur chasseur. L’armurier, à la fois impressionné et séduit par l’ardeur du jeune elfe, décida de l’aider gracieusement. Mais il l’averti que sa nouvelle arme ne lui serait d’aucun secours s’il ne suivait pas à la lettre ses conseils.

Durant deux nuits, le vieil armurier s’activa sur l’arc de Tibonal. Il imagina un système complexe, qui permettait au porteur de l’arc de le plier en trois parties pour mieux le transporter, mais aussi de le déplier d’un geste en cas d’urgence. Pour la souplesse, il choisit le bois-de-lande le plus vert qu’il trouva. Pour la corde, il usa de la peau de gwar femelle (une sorte de petit lapin de la lande), la plus fine et la plus solide qui exista. Pour la précision, il incorpora la plus petite serre, affutée, d’un singe ailé en guise de repose-flèche. Pour le confort, il cousu la poignée dans le cuir de biche le plus tendre qui soit. Pour la solidité, il fixa sur la branche inférieure l’ivoire majestueux du plus dangereux des tundras. Enfin, pour la beauté, il en recouvra la branche supérieure de poussière de pierre verte du plus bel éclat.

Finalement, il tendit l’arc à un Tibonal ému, et, d’une voix rocailleuse, lui annonça que la première victime de cet arc devait être une termite des landes. Tibonal objecta que c’était impossible, mais l’ermite insista : si l’adolescent ne tuait pas, en premier lieu, une termite des landes avec cet arc, celui-ci verrait son bois sécher, et perdrait ainsi toute sa souplesse.

Pendant un an et un jour, Tibonal parcouru les landes, et à chaque termitière qu’il trouva, il s’essaya à l’arc. Outre les piqures des termites et les fièvres qu’elles provoquent, l’apprenti chasseur dû affronter la faune des landes, et ce, sans jamais décocher la moindre flèche. Il devint donc expert en l’art de marcher sans bruit, de se défendre au couteau, et de se cacher dans la rare végétation que les landes offrent. La concentration dont dépendait sa survie lui permit ainsi de ravaler sa frustration, et il continua à chasser la termite. Quand un jour, enfin, il réussi, en un éclair, à planter d’une flèche une termite qui s’activait sur un arbrisseau de bois-de-lande.

Pas peu fier, il retourna compter son exploit à l’ermite, qui le félicita mollement. Ce dernier l’autorisa à tuer avec son arc toutes les créatures rampantes d’une taille inférieure ou égale à une termite. Il lui confia ensuite un nouvel exploit à accomplir, au risque, sinon de voir la corde de l’arc se rompre sans cesse. La deuxième créature que son arme abattrait devait être un gwar femelle en pleine course. Tibonal en resta circonspect. Non seulement, pensa-t-il, on ne pouvait différencier à l’œil nu un gwar male d’un gwar femelle, mais, de plus, tuer l’animal en pleine course relevait du miracle, tant ce dernier courait vite. Mais il accepta la mission du vieil elfe, et s’en alla chasser le gwar femelle. Bien sûr, au bout d’un temps certain, il y parvint. Mais avant cela il dû apprendre à courir à très vive allure, et à décocher ses traits en plein effort.

Quand il retourna à l’ermite, il ne fut guère surpris de trouver ce dernier encore plus austère. L’armurier le félicita froidement. Il l’autorisa à tuer de son arc toutes les créatures terrestres, d’une taille inférieure ou égale à un gwar. Ensuite, l’invita à abattre, en guise de "troisième proie", une singe ailé, en pleine plongée, par une nuit sans lune. Tibonal, encore une fois, obtempéra, non sans râler un peu. Il apprit donc à repérer les proies des singes ailés, et à attendre, sans mouvement ni lumière, que ces derniers ne fondent dessus à toute vitesse, ce qui n’arrive qu’à la nuit noire tombée.

Aussi, quand il rendit à nouveau visite au vieil armurier, ce dernier l’autorisa à tuer toutes les créatures volantes d’une taille inférieure ou égale à un singe ailé, et lui confia une nouvelle proie à abattre. Et plus les épreuves que l’ermite lui confiait gagnaient en difficulté, plus Tibonal gagnait en savoir-faire et en maîtrise des arts de la chasse. Sa quatrième proie fut une biche de l’hiver, pour laquelle il apprit résister au froid et à se dissimuler dans la neige. Sa cinquième fut un trundra sauvage enragé, qu’il traqua durant un an et un jour, et face auquel il dû apprendre à faire fît de ses blessures, à se soigner, et à déceler chez l’adversaire les points faibles les moins évidents qu’il soit. A chaque chasse, Tibonal usait de son arc avec une expertise grandissante, et il s’y attachait de plus en plus. Il le Nomma Fend-L’Herbe, en référence à ses reflets verts. Maintenant jeune adulte, il devint le chasseur le plus talentueux mais aussi le plus sollicité de la contrée.

Pendant ce temps, au village de Klobal, on eut vent de l’arrivée des Horreurs, et les gens commencèrent à s’apprêter pour emménager dans le petit Kaer nouvellement bâti non loin de là. Tibonal n’en avait que faire. Rien de lui importait plus que de répondre aux défis du forgeron, et de gagner ainsi en expérience. Aussi, quand sa famille et les rares amis qu’il lui restait l’accostèrent, alors qu’il revenait au village après une chasse fertile, pour lui demander de les suivre dans le Kaer, Tibonal réserva sa réponse. Il courut chez le vieil ermite. Il trouva ce dernier en plein préparatifs, il paraîssait donc plus préoccupé qu’à l’habitude.

"Je n’ai plus aucun défi à te confier, dit l’ancêtre d’une voix usée. Tu es désormais un grand chasseur. Aucune proie ne te résiste, à ce que j’ai entendu dire.

- Non, je sais que j’ai encore à apprendre, rétorqua Tibonal. Je n’utilise pas cet arc fabuleux que tu m’as forgé à son plein potentiel. Je suis peut-être un grand chasseur, mais je ne suis pas le plus grand archer jamais vu. Il me manque une proie, et tu sais laquelle. Dis-le moi.

- Les temps sombres approchent. Tu devrais suivre tes proches dans les préparatifs. Nous n’avons qu’une année pour nous préparer.

- N’évite pas le sujet. Tu as fabriqué cet arc pour moi, tu sais qu’il manque une tête à mon tableau de chasse."

Au grand étonnement de Tibonal, une mine attristée s’afficha alors sur le visage ridé du vieil elfe. Pour la première fois, l’ancêtre faisait apparaître un tant soit peu d’intérêt, voire même une pointe d’inquiétude, envers le chasseur. S’écroulant sur un fauteuil hors d’âge, il soupira enfin et lâcha, dans un souffle fatigué :

"Je ne suis personne pour m’opposer à ton ambition. Cette dernière t’a permis de dépasser les espoirs les plus fous que j’avais placés en toi. Oui, il te manque une proie. La plus horrible et la plus dangereuse qu’il soit. Aussi existe-t-il de grands risques que tu n’en reviennes pas indemne, ni même vivant. Pour devenir le plus grand des archers, ta dernière proie devra être une de celles que l’on appelle Horreurs. Laquelle ? Je l’ignore. Je pense que tu le sauras en la rencontrant. Mais hâte-toi. Pars dès aujourd’hui. Car dans un an et un jour, les portes du Kaer se refermeront. Tu as beau être le chasseur le plus reconnu de la contrée, sache que l’on ne t’attendra pas."

Tibonal remercia le vieil homme, et quitta donc Klobal en quête d’un de ces monstres qui sévissait déjà en Barsaive, une Horreur. Et, curieusement il trouve trace de l’une d’entre elle à non loin de là, dans un village voisin réduit en cendres. Emu par le charnier que la créature laissait derrière elle, il jura d’avoir sa peau. Pendant près d’une année, il traqua sa proie dans tout Barsaive, s’efforça de la piéger à maintes reprises et, quand il y parvint enfin, la combattit furieusement en usant de Fend-L’Herbe. Le combat fut épique. Le jeune archer usa tous ses traits dans la bataille, et dû en fabriquer d’autres. Il fut même, à plusieurs reprises, mortellement blessé par l’Horreur. Par bonheur, quand il décocha la dernière flèche de son carquois, celle-ci se planta dans le dernier œil valide du monstre, et traversa ce qui lui servait de tête de part en part, l’abattant sur le coup.

Mais Tibonal n’eut pas le temps de célébrer pleinement sa victoire. Il avait conscience du temps qui s’était écoulé, et avait même compté les jours. Il ne lui en restait guère pour regagner le Kaer de Klobal, aussi se hâta-t-il pour y retourner au plus vite, dormant peu et courant parfois des journées entières.

Mais, hélas, il arriva trop tard.

Un an et un jour après son départ, les portes du Kaer furent scellées. Il est dit qu’en les refermant, le vieil ermite vit, à plusieurs lieues de là, dans la vallée, briller l’arc aux reflets verts de Tibonal. On conte aussi que l’archer arriva aux portes du Kaer juste au moment où le dernier verrou fut posé. Hors d’haleine, il s’y adossa, planta des flèches à ses côtés, et veilla ainsi sur les siens durant le Châtiment.

Durant plus de quatre siècles, le refuge n’essuya aucun assaut de la part des Horreurs. Au sortir du Kaer, on trouva une flèche plantée devant les portes.




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La légende de Tibonal
La légende d’un archer d’exception ayant vécu avant le Châtiment.
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